HOMMAGE A ANDRE PICOT

HOMMAGE A ANDRE PICOT

André PICOT

André Picot, mon Ami mon Maître.

J’ai connu André Picot au début des années 1980. Je venais de passer ma thèse de doctorat d’état en Toxicologie sur les PCBs alors que j’étais biochimiste de formation. C’était l’époque ou Giscard d’Estaing pour se donner une teinte écologique décida l’organisation d’un grand congrès à Paris sur l’environnement à l’UNESCO. Le Ministère de l’Environnement fut chargé d’organiser rapidement un tel évènement en sollicitant toutes les bonnes volontés disponibles. Un de mes amis Toulousains me demanda de l’aider à animer une session sur les « nouveaux pesticides naturels », sujet qui m’était largement inconnu. Recueillant quelques données disponibles sur la roténone (à l’époque il n’y avait pas Wikipédia), j’effectuais une présentation à minima, que j’estimais suffisante  pour le public concerné. A la fin de la présentation, la parole est donnée à la salle et la première main qui se lève était celle d’André Picot. Il se livre alors à un exercice de démolition de cette Substance, considérée à l’époque comme naturelle et donc compatible « Bio » mais d’une redoutable toxicité (ce qui amènera à son interdiction). Devant une intervention aussi argumentée, la « vraie » discussion est reportée à la pause-café. C’est là que j’avouais avoir essayé de « rendre service » en sortant du mon champ de compétences. J’avais rencontré un combattant de la rigueur scientifique, mais un combattant magnanime qui m’avait recommandé d’améliorer mes connaissances en toxicologie, en suivant la seule formation postuniversitaire qui était alors dispensée au CNAM. Le CNAM ne m’était pas inconnu car j’avais une collaboration avec l’équipe de Robert Albrecht sur l’étude des systèmes enzymatiques de métabolisation des xénobiotiques. La clarté du raisonnement d’André et son approche mécanistique des processus toxiques m’avait convaincu de suivre un tel enseignement. Je n'ai pas été déçu vu qu’en dehors d’André il y avait des enseignants comme René Truhaut, Henri Pézerat, Maurice Rabache,  Georges Bories…. Il faut signaler qu’à l’époque le cursus universitaire de Biochimie des universités de sciences ne faisait aucunement allusion aux processus de toxicité, enseignement réservé aux pharmaciens et aux vétérinaires (mais malheureusement absent des cours de médecine). Le bon feeling avec André s’est traduit l’année suivante, par sa demande de rejoindre l’équipe enseignante pour assurer le cours sur les PCBs. J’ai alors conseillé à l’assistante de mon laboratoire de suivre aussi la formation au CNAM. J’ai ensuite naturellement suivi André dans l’ATC CNAM puis dans l’ATC Paris. Nous avions la même passion pour la « transmission » qui de mon côté était une valeur familiale via ma mère institutrice et mon père conseiller d’éducation, concrétisée par une carrière d’enseignant-chercheur.

Ma collaboration scientifique avec André s’est développée quand je suis rentré au CSHPF et que j’ai été nommé Président du groupe contaminants en 1988. Il faisait partie de ce groupe d’experts avec d’autres grands personnages comme Charles Frayssinet pour les mycotoxines ou Michel Boisset pour les métaux traces. Les démêlés d’André avec l’Académie des sciences pour l’expertise des dioxines nous ont rapprochés car il y avait un lobbying très fort pour minimiser les risques liés à cette famille de polluants persistants. Nous avons rédigé (en auto-saisine) un rapport sur les PCBs et Dioxines au CSHPF que j’ai fait remonter au Conseil de l’Europe où j’étais  représentant de la France au sein du groupe sur les denrées alimentaires. Notre proposition de limite sur les dioxines dans le lait ayant été adoptée, la France a du s’aligner sur la recommandation européenne. Ce premier succès dans la lutte contre les lobbies ayant démontré l’efficacité de notre collaboration, André m’a souvent associé à ses combats comme je l’ai associé aux miens, ce qui nous a amené à gagner des causes « difficiles » sur le plan judiciaire comme dans l’affaire Paul François (pesticides), Singer (cuivre) ou Vaux-le-Pénil (dioxines).

Mais notre plus grande complicité se situait au deuxième degré, c’est-à-dire sur le plan de l’humour. C’était une façon de prendre de la distance avec un discours scientifique rugueux et du carcan des exigences réglementaires. La rapidité de réparti sur les traits d’esprit et les sentences à double sens était notre jeu de ping-pong, qui pouvait étonner notre auditoire ou même indisposer certains représentants ministériels. Ceci allait de pair avec le sens de la fête, des bons repas, du bon vin (rouge !) et des fins de soirée en chansons. Les fins août à Ampeils étaient les rendez-vous incontournables qui s’étaient officialisés par l’animation de la fête du village voisin. André avait une humanité débordante et « contaminante », les cercles d’amis personnels se rejoignaient en une grande communauté fraternelle. Finalement notre dernière rencontre date du 29 décembre ou nous avons fait un repas en musique, occasion de fêter son passage comme Président d’Honneur de l’ATC.

Alors que le confinement avait raréfie les organisations de congrès, l’année 2022 les avaient rétablis. J’avais donc accompagné André au congrès « après-mine » en septembre à Chaussy et au colloque Environnement – Santé de Strasbourg en Octobre, ce qui a été la dernière manifestation à laquelle il a participé. Il se trouve que l’épreuve de l’article issu de ce colloque nous a été transmise le jour même de son départ. C'est donc le dernier article scientifique* avec son nom. La photo que les éditeurs ont choisie pour illustrer l'article est celle d'un homme souriant et de plus avec la végétation calédonienne en arrière-plan (on connaît son attachement à cette terre). L'article traite de la démarche scientifique rigoureuse et complexe pour aborder les relations pollution - santé, on ne pouvait pas trouver meilleur sujet comme illustration de ses principes d'action et de transmission.

Malgré le vide qu’il laisse dans nos vies, nous nous devons de continuer en appliquant ces principes. 

*Pollution et causalité : L’approche scientifique ; Narbonne JF, Picot A., BDEI n° 103, janvier 2003, pp 47-51

Jean François Narbonne, le 27 Janvier 2023.

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Hommage à André Picot, le président d’Honneur de l’Association Toxicologie Chimie, qui  vient de nous quitter le 18 janvier 2023. Cet humaniste toujours souriant était notre phare.

André, de sa Bretagne natale, vient à Paris pour étudier, d’abord au Lycée d’Arsonval, puis au CNAM pour terminer par une thèse de doctorat en science physiques à Orsay à l’université de Paris sud (1975). Chimiste au départ, il deviendra, Toxicochimiste.

Après un passage chez Roussell Uclaff au Centre de Recherches, il intégrera au CNRS de Gif sur Yvette  l’lnstitut de Chimie des Substances Naturelles (ICSN) où il deviendra Directeur de Recherches (1986-2004). Il mettra ensuite en place à Gif, l’Unité de Prévention du Risque Chimique (UPS 831), (1989-2001).

Entre temps (1980) au CNAM Paris, nait un enseignement de toxicologie fondamentale sous l’impulsion de brillants experts de notoriété internationale, formation originale interdisciplinaire qui associe la biologie et la chimie.

Cet enseignement va évoluer et prenant en compte le milieu du travail et l’environnement. Naitra alors l’Association Toxicologie CNAM (1989) avec la collaboration de responsables d’hygiène et Sécurité de l’INSERM.

Cette association va se transformer en Association Toxicologie Chimie  ATC Paris (2009) indépendante et autonome qu’il va cogérer avec son ami Maurice Rabache. Ils vont  dispenser alors un enseignement de toxicochimie et d’écotoxicochimie fondamentales industrielles et environnementales.

Globalement ces divers enseignements en 35 ans ont formés plus de 300 auditeurs (médecins du travail, ingénieurs et techniciens d’hygiène et sécurité, ingénieurs spécialistes de l’environnement, mais aussi, des journalistes, des naturopathes, des syndicalistes, des juristes sans oublier quelques passionnés curieux de ces domaines scientifiques si peux médiatisés).

Il faut rappeler que l’ATC a deux missions principales : la formation et l’expertise.

La formation, c’est sensibiliser, informer et former dans les domaines de la toxicologie et de l’écotoxicologie.

L’expertise, c’est éclairer par la connaissance et les compétences des sujets d’actualité tragiques considérés comme des causes perdues.  André avec ses amis, Jean François  Narbonne,  Claude Lesné et les autres experts de notre panel d’enseignants permettront rétablissement de la vérité sur des sujets compliqués et épineux.

Deux exemples de procès gagnés avec une contribution de l’ATC : Paul François, l’agriculteur céréalier intoxiqué par l’insecticide « Lasso » de Monsanto ; Anne Marie Singer, agricultrice ayant un élevage de moutons. Ces derniers et sa mère ont été intoxiqués au cuivre suite à un acte malveillant (pollution de l’eau de source du domaine).

La liste des actions menées est longue et ne sera pas développée ici.

L’arme d’André, comme l’a si bien dit Jean François Narbonne dans l’hommage qu’il t’a rendu en chanson, c’était la chimie !

Il faut rappeler aussi qu’André a été un expert français à la Communauté Européenne (SCOEL), dans le domaine de la surveillance des atmosphères de travail, en participant à l’établissement des valeurs d’exposition. Il a participé à de très nombreuses autres missions d’expertise pour différents ministères et agences en France (Ministères de la recherche, du travail, de l’environnement, de l’agriculture, Académie des Sciences, AFSSET, AFSSA, INSERM…).

André vient de nous quitter et nous laisse un peu orphelins. André, le phare de l’ATC, est parti rejoindre ses très chers amis Maurice Rabache et Bruno van Peteghem. Nous devons continuer le travail commencé, prendre le relais et développer notre Association avec la nouvelle équipe.

André, était très apprécié. En homme simple, tranquille, curieux, assoiffé de science, il a été un  infatigable travailleur, disponible et à l’écoute jusqu’au bout. C’était aussi un bon vivant, aimant les bonnes choses. Il aimait partager son vécu et nous racontait des histoires parfois surprenantes. Il pouvait aussi avoir un humour décapant.

Il aimait bien l’écriture, beaucoup d’articles scientifiques, de monographies et de livres ont été publiés, en particulier grâce au travail de mise en page et de collaboration étroite avec Jean Ducret. Beaucoup de thématiques ont été abordées. Pour illustration, en voici quelques unes seulement : les métaux traces toxiques, la spéciation, la dioxine, les perturbateurs endocriniens, le lévothyrox, le gaz de schiste, la pollution des sols, le syndrome aérotoxique… et dernièrement le kudzu. L’idée de ce thème est née d’une  collaboration avec Junko, l’épouse de Bruno van Peteghem. Pendant ces deux dernières années, l’étude bibliographique du Kudzu, plante japonaise, a permis à André la rédaction d’une monographie de l’ordre de 150 pages. Elle est presque terminée et sera bientôt mise sur le site de l’ATC en accès libre.

André, c’était un scientifique passionné et passionnant.

Les anciens auditeurs que nous sommes, devenus parfois des enseignants ATC, tenons à  remercier André de nous avoir encouragés, motivés, guidés, de nous avoir donné confiance en nous pour trouver le meilleur de nous mêmes.

Nicole et Frédéric, pour le bureau, les enseignants, les adhérents et sympathisants de l’ATC.

27 janvier 2023.

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Autres hommages rendus à André Picot.

  • Hommage à André Picot. Générations Futures. Le 26 janvier 2023.

Les militants et militantes qui ont œuvré et œuvrent contre les effets néfastes des polluants chimiques sur la santé sont en deuil. Notre ami André Picot, chimiste et toxicologue passionné et passionnant est décédé le 18 janvier à l’âge de 85 ans.

Celles et ceux qui ont eu le bonheur de croiser André garde forcément de lui le souvenir d’un homme plein d’humilité, d’une immense gentillesse, d’un immense savoir et d’un immense engagement pour dénoncer l’exposition des hommes et des femmes à des substances nocives. S’informant sans relâche, prenant le temps nécessaire pour vous transmettre ses connaissances, André était un puits de science et d’humanité.

Nous sommes si tristes de ne plus pouvoir croiser ton regard si bleu et si profond. Tu vas beaucoup nous manquer et nous pensons avec toute la tendresse possible à ta famille, ton épouse, tes enfants et petits-enfants dont nous partageons la peine.

Générations Futures te remercie, André, pour tout ce que tu nous as apporté tant humainement que professionnellement et tous les magnifiques souvenirs que nous avons en commun depuis plus de 20 ans. Nous repensons ce jour avec émotion de notre première rencontre grâce à Dominique Belpomme lors de l’organisation de l’Appel de Paris, colloque qui a fait date dans la lutte contre les polluants chimiques. Nous vous avions alors surnommé les trois mousquetaires de la toxicologie, trio que tu formais pour nous à cette occasion avec Maurice Rabache qui nous a quitté en 2015 et Jean-François Narbonne. Et depuis cette date nos chemins n’ont jamais cessé de se croiser jusqu’à ce jour du 18 janvier.

Bon voyage notre ami, oui tu vas beaucoup nous manquer mais jamais nous quitter.

  • André Picot, preux chevalier d’une science humaine Fabrice Nicolino, 23 janvier 2023

Je connaissais un peu André Picot, grand monsieur de la science humaine. Une science qui n’oublie pas ses liens avec la société et ses besoins. Je connaissais assez André pour le pleurer, car il vient de mourir d’un infarctus, à l’âge de 85 ans.

Je ne sais plus quand je l’ai rencontré. Il y a vingt ans ? Sans doute plus. Il gravitait dans les mêmes cercles vaillants que mon si cher Henri Pézerat. Comme lui, il avait mis son immense savoir – de chimiste, en l’occurrence – au service des éternels sacrifiés de la Bête qui nous dévore tous. Il était sur tous les fronts, ne négligeait aucune bataille, jusqu’aux plus petites. Il ne refusait jamais. Et son sourire éternel paraissait d’une autre planète.

Je laisse ci-dessous la parole à ma grande amie Annie Thébaud-Mony, qui l’a si constamment fréquenté. Annie est directrice de recherches honoraire de l’INSERM, et se bat chaque jour, comme le firent André Picot et Henri Pézerat, qui était son compagnon, contre les crimes industriels. Si nombreux. In memoriam.

  • La lettre d’AnnieThébaud-Mony, 22 janvier 2023

André,
Ce 18 janvier 2023, tu as quitté ceux que tu aimais, ta famille, tes amis, l’Association Toxicologie Chimie, nous tous qui nous appuyions sur toi. Je veux dire combien ont compté pour moi, ton accueil chaleureux, ton sourire et ton ouverture, ton immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître ce que j’appelle la «chimisation toxique» du travail et de l’environnement.

Pour moi, André, tu es et resteras l’ami, le frère d’Henri, Henri Pézerat, mon compagnon. A vous deux, vous vous partagiez les champs de la toxicochimie, organique pour toi, inorganique pour Henri.

Je t’ai connu un jour d’hiver 1985, quand Henri t’avait invité au Collectif Risques et Maladies Professionnels, sur le campus de Jussieu, dans les préfabriqués (sans doute amiantés) où les syndicats avaient leurs locaux, un lieu improbable d’où était partie la lutte contre l’amiante des années 1970.

Le Collectif y avait son local, encombré d’archives, comme autant de traces des mobilisations engagées pour la prévention des risques professionnels, contre l’impunité des industriels et du patronat, contre l’inertie des pouvoirs publics et des institutions.

Tu as, dès cette époque, été présent à mon histoire, par ton partage continu avec Henri, dans vos échanges, souvent téléphoniques, sur ce qui étaient au cœur de notre travail scientifique et de nos préoccupations : comment partager le savoir accumulé et en faire un outil pour contribuer à l’élimination des substances toxiques du travail et de l’environnement, pour contribuer à la réduction des inégalités face aux dangers ?

Scientifiques non alignés l’un et l’autre, malmenés par les institutions, vous avez su, toi et Henri, partager cet immense savoir qui était le vôtre, pour aider des citoyens, un syndicat, une association, des militants, à résister à la mise en danger. Puis, vous avez, toi, Henri et quelques autres, fondé l’association Toxicologie Chimie (ATC) et ceux qui reprennent aujourd’hui le flambeau sauront mieux que moi dire ce qu’elle est et tout ce qu’elle te doit. C’est grâce à ce partage entre Henri et toi que j’ai été amenée à te solliciter de plus en plus souvent dans mon propre travail scientifique, sur les cancers professionnels en particulier. En 2009, Henri nous as quittés et je me souviendrai toujours de tes mots en hommage à ce que vous aviez partagé.

Dans cette période, ensemble, nous avons poursuivi le travail que vous aviez commencé, toi et Henri, pour soutenir le combat de Paul François contre Monsanto dans le procès qu’il a gagné contre la firme. Je me souviens de ton appel au soir d’une expertise médicale où tu avais accompagné Paul. Tu étais atterré de l’ignorance et de l’inhumanité du médecin-expert auquel Paul avait été confronté.

Au fil des années, j’ai pu alors continuer à faire appel à toi non pas seulement dans le travail scientifique, mais aussi dans le développement des luttes portées par l’association qui porte le nom d’Henri. Son but ? Le soutien aux luttes pour la santé en rapport avec le travail et l’environnement. Combien de fois t’ai-je appelé, à mon tour, pour que tu me fasses partager ton expérience et tes connaissances, depuis la dioxine ou les hydrocarbures jusqu’aux multiples pollutions chimiques et radioactives qui empoisonnent la vie. Je pense aux désastres industriels tels Lubrizol ou la contamination au plomb lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris. Mais aussi «l’après-mine », que je ne peux évoquer sans penser à toi : Salsigne, Saint Felix-de-Pallières, la mine de Salau en Ariège…

C’est d’ailleurs la lutte contre les pollutions monstrueuses laissées par les exploitants miniers, avec la complicité de l’Etat, qui a été l’occasion de notre dernière rencontre, grâce à l’association SysText. En septembre 2022, celle-ci a organisé un « forum citoyen sur l’après-mine ». Nous avons été heureux à cette occasion de nous revoir et d’échanger autrement qu’au téléphone. Tu étais présent à tous et chacun.e, même si tu ressentais douloureusement la mort brutale de Bruno van Peteghem, qui a tant fait à tes côtés dans l’activité et le rayonnement de l’ATC.

J’ai su que tu t’en étais allé par ton fils qui a décroché le téléphone lorsque je t’ai appelé hier. Nouée par l’émotion, je n’ai pas su lui dire combien tu avais compté pour moi, pour nous, depuis des décennies. Mais je ne le remercierai jamais assez de ne pas avoir laissé mon appel sans réponse. Tu répondais toujours…

Vendredi, étant à l’étranger, je ne pourrai pas venir pour la célébration de tes obsèques à Chevreuse. Mais ce message sera mon moyen de partager avec tous les tiens ce moment d’adieu. Je voudrais leur dire combien je partage leur peine, combien tu nous manques et nous manqueras dans les combats qui étaient les tiens, qui sont les nôtres. Adieu, André, et merci pour ces décennies d’échange fraternel et de savoir partagé.

  • Paul François, 24 Janvier 2023

Je tenais à remercier tout particulièrement Annie et Fabrice pour cet hommage. Ce que vous énoncez pour Monsieur le Professeur André Picot est très juste et tout à fait mérité, même s’il détestait que je l’appelle ainsi.

Comme l’a dit Annie, je lui dois une grande partie de ma victoire contre Monsanto, mais je dirais que je lui dois encore bien plus : ma Vie. Sans son intervention, je ne serais en effet certainement plus de ce monde… C’est aussi grâce à André que j’ai eu l’immense bonheur et chance de rencontrer des personnes exceptionnelles, lesquelles m’ont permis d’avoir un autre regard sur notre société.

Sans ces rencontres, je ne serais pas l’homme que je suis devenu aujourd’hui, je n’aurais pas co-créé et présidé l’association Phyto-victimes pendant 9 ans. Association qui a permis et qui continue de venir en aide aux victimes de pesticides.

C’est avec une immense tristesse qu’en leurs noms et en accord avec Annie, au nom de l’association Henri PEZERAT, je serai présent vendredi pour le saluer une dernière fois.

  • André Picot : une vie de chercheur contre la pollution industrielle, par Violaine Colmet Daâge, Reporterre, le 2 février 2023

Le toxicochimiste André Picot est décédé le 18 janvier. Durant soixante ans, il a dénoncé les effets des produits chimiques sur la santé. Reporterre revient sur les grands combats qu’il a menés.

Peu connu du grand public, le toxicochimiste André Picot était une voix importante en France. Au cours des soixante dernières années, il a dénoncé âprement tous les effets délétères des polluants industriels sur la santé — amiante, dioxine, pesticides... — ou certains scandales sanitaires comme celui de la vache folle ou ceux causés par les incendies de Lubrizol et de la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Il s’est éteint le 18 janvier, à l’âge de 85 ans, après une carrière scientifique remarquable.

Yeux turquoises, chevelure immaculée et sourire immuable, André Picot était « un combattant de la rigueur scientifique », décrit son ami toxicologue Jean-François Narbonne. « Il était aussi capable de prendre de la distance avec un discours scientifique rugueux et du carcan des exigences réglementaires. » Une preuve d’humilité et d’intelligence, ajoute-t-il. Doté « d’un humour décapant », le professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers et expert au sein de l’Académie des Sciences était aussi très bon vulgarisateur devant les instances officielles et réglementaires ou auprès de la presse.

Chimiste de formation, André Picot a choisi de pratiquer la science en interdisciplinarité, à la frontière entre la toxicologie et la chimie. Après avoir travaillé sans succès au développement d’une pilule abortive au sein de l’industrie pharmaceutique, il a rejoint les bancs de la recherche académique sur les risques chimiques. Chimiste-biologiste directeur de recherches au Centre national de recherche scientifique (CNRS), il s’est spécialisé dans les mécanismes impliqués dans les oxydations chimiques et biologiques ainsi que dans la toxicologie moléculaire. Il a créé l’unité de prévention du risque chimique du CNRS, et ainsi acquis une « immense connaissance des risques industriels qui ne cessent d’accroître, ce que j’appelle la “chimisation toxique” du travail et de l’environnement », écrit Annie Thébaud-Mony, sociologue spécialiste des maladies professionnelles. Il fut aussi l’un des fondateurs de l’Association de Toxicologie et Chimie.

Dioxine, gaz de schiste, pesticides : ses grands combats

Sa rencontre avec le chimiste et toxicologue Henri Pézerat « dans les préfabriqués (sans doute amiantés) » de l’université de Jussieu marque un tournant majeur dans la vie du scientifique. Aux côtés de sa compagne et chercheuse à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) Annie Thébaud-Mony, Henri Pézerat dénonçait alors, dans les années 1980, les ravages de l’amiante. Une lutte à laquelle André Picot a pris part.

Au début des années 1990, un autre combat s’est engagé. À l’Académie des sciences, André Picot dénonçait les méfaits de la dioxine, un polluant persistant cancérigène émis lors de la combustion de déchets et qui s’accumule dans les aliments. Son avis lui valut des démêlés avec ses pairs qui n’apprécièrent guère ses positions. En 1994, il refusa même de signer le rapport de l’Académie des sciences sur la dioxine. Il rencontra alors Jean-François Narbonne, qui, lui aussi, tentait d’alerter sur le sujet. « Il y avait un lobbying très fort pour minimiser les risques liés à cette famille de polluants persistants », raconte Jean-François Narbonne. Au même moment, pourtant, l’Environmental Protection Agency des États-Unis publiait un rapport détaillé sur les risques associés à ce polluant. L’avis de l’Académie des sciences est « stupéfiant parce qu’il a permis le développement du parc d’incinérateurs le plus important de toute l’Union européenne. Avec émission de dioxine, bien sûr », observe sur son blog le journaliste Fabrice Nicolino. L’histoire a donné raison à Picot et à Narbonne.

Un scientifique rigoureux et d’une humanité débordante

Dans les années suivantes, André Picot s’est attaqué aux gaz de schiste. Dans un rapport publié en 2011, il expliquait que ces techniques d’extraction provoquent la libération de gaz, comme le formaldéhyde ou le benzène, hautement toxique et dangereux pour la santé des travailleurs et des riverains. Il évoquait également la libération de sulfure de dihydrogène aux effets toxiques et anesthésiants majeurs et qui pourrait expliquer les pluies d’oiseaux morts observées aux États-Unis (bien que le scientifique resta sceptique sur cette hypothèse) ou le décès de bovins s’étant abreuvés à proximité.

Grâce à son savoir, qu’il a su partager, André Picot a accompagné des luttes écologistes difficiles et d’autres combats ont jalonné la vie du chercheur. Celui pour la reconnaissance de la culpabilité de Monsanto dans les problèmes de santé de l’agriculteur Paul François. Là aussi, la toxicologie lui permettait d’expliquer comment les émanations toxiques du désherbant le Lasso ont pu à distance provoquer les comas dont l’agriculteur a été victime. Avec une victoire judiciaire à la clé.

Lors de l’incendie de l’usine Lubrizol à Rouen en 2019, André Picot a alerté sur les effets à long terme de la forte pollution respiratoire, « de l’amiante sous forme d’une pluie de poussière blanche », avait-il expliqué à Reporterre. ll a aussi soutenu le travail d’Alexander Samuel sur les conséquences sanitaires des gaz lacrymogènes, dans nos colonnes. Un sujet peu étudié car « réservé au domaine militaire », nous disait-il.

En 2009, André Picot décrivait son ami défunt Henri Pézerat comme « un modèle de lanceur d’alerte : compétent, acharné dans ses convictions, parfois obstiné et surtout profondément humain, donc à l’écoute des autres en particulier les plus défavorisés ». Une description qui colle parfaitement à André Picot lui-même, un homme bienveillant, très compétent et qui, grâce à un savoir qu’il a su transmettre, a été utile aux luttes écologistes. À l’heure où de nombreux scientifiques se demandent s’il ne faut pas entrer en rébellion, la démarche d’André Picot pourrait servir de modèle.

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