Des dioxines contre « la loi travail » où le brûlage sauvage de pneus usagés devient le symbole de revendications syndicales
Jean François NARBONNE, Professeur Honoraire de Toxicologie.
Les nombreuses manifestations d’agriculteurs et de syndicalistes qui ont récemment occupé les médias, nous ont fourni de nombreuses images de centaines ou de milliers de pneus partant en fumée, ponctuant ainsi les revendications. Un esprit relativement critique peut s’interroger sur cette nécessité de générer une forte pollution exposant les manifestants et les riverains des évènements. Ces incinérations enfreignent ouvertement toutes les lois sur le traitement des déchets, qui plus est, devant des représentants de la loi étonnamment passifs. En fait, les pneus ne sont pas des déchets réputés dangereux mais leurs produits de pyrolyse et de combustion sont des dangers pour l’environnement et la santé.
En effet, les incendies de pneumatiques génèrent des fumées noires contenant de très grandes quantités de suies et de particules (100 g/kg de pneus brulés). Elles contiennent aussi de nombreux contaminants : des oxydes de carbones (CO, CO2), des hydrocarbures légers (surtout aromatiques : benzène, toluène ...), des hydrocarbures oxygénés (aldéhydes, acides), des dérivés divers du soufre (SO2, thiols R-SH, CS2, H2S...), des émissions de métaux et d’oxydes métalliques (comme le Pb, le Zn, le Cd, le Ni, le Hg, le Cr et le Vn), d’As... Évidemment la combustion du caoutchouc génère des HAP (dont le BaP) mais aussi des dioxines, des furanes et des PCBs. Dans des feux ouverts de pneus, jusqu’à 110 composés générés lors de la combustion ont été mesurés dont les teneurs variaient du ng à la dizaine de mg par m3. Les effets sanitaires dépendent des conditions d’exposition et se traduisent fréquemment par des irritations des yeux, des muqueuses ou de la peau, des atteintes respiratoires. À plus long terme on peut observer des atteintes du SNC comme des dépressions. Plus de 30 composés présentent des propriétés cancérogènes et le pouvoir mutagène des fumées issues de la combustion sauvage de pneus est 16 fois plus mutagène que celles issues de la combustion ouverte du bois et 13 000 fois plus mutagène que celles issues de combustion de bois en conditions contrôlées.
Sur le plan réglementaire, le code de l'environnement proscrit l'élimination des déchets par incinération à l'air libre, dans le cadre des activités organisées de brûlage à caractère industriel ou commercial. Les incendies de pneus lors de manifestations sont, quant à eux, interdits par le règlement sanitaire départemental, et les maires sont notamment chargés du respect de cette interdiction. Les infractions sont punies par une amende de troisième classe.
La réglementation relative aux pneumatiques usagés qui est entrée en vigueur en 2003, prévoit que la collecte et l’élimination des pneumatiques usagés incombent aux producteurs ou importateurs de pneumatiques, dans la limite des tonnages mis sur le marché l’année précédente (environ 350 000 tonnes).
Devant l’inertie des organisateurs des manifestations, des associations de protection de l’environnement et surtout celle des pouvoirs publics, on peut se demander quel est le fournisseur de ces pneus qui devraient donc obligatoirement se trouver dans les filières de recyclage et de valorisation (y compris énergétique) ? D’autre part quel est le sens politique donné par la génération de fumées toxiques et cancérogènes en soutien des luttes de la classe ouvrière ou paysanne? S’il faut accompagner ces revendications par le feu censé représenter la colère des manifestants, pourquoi ne pas brûler simplement du bois ?