BOUES ROUGES

BOUES ROUGES

En Mars dernier, OSES Jennifer et NARBONNE Jean-François, ont publié un article sur les rejets de boues rouges dans la mer Méditerranée, dans le N° 151 de la Revue Préventique.

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 Boues rouges N151 préventique

L’usine de Gardanne , fondée en 1894, traite le minerai de bauxite (alumine hydratée) pour produire l’alumine anhydre par un procédé basé sur l’ajout de soude à 200 °C suivi d’une calcination
à 920 °C. Après extraction de l’alumine de sodium, les boues résiduaires dites « boues rouges » étaient stockées à terre jusqu’à saturation des sites récepteurs.

 

Un site sous surveillance historique.

En 1966, des études sur la faisabilité d’un dépôt en mer à grande profondeur sont réalisées par des organismes publics comme l’ISTPM ou l’Université. Les boues sont ensuite rejetées en mer par une canalisation dans le canyon de Cassidaigne à 7,7 km de la côte au large de Cassis à 320 m de profondeur. En1975 et 1995, des plongées profondes sont effectuées sur la zone de répartition des boues avec le sous-marin Cyana, pour des contrôles visuels et évaluation de la toxicité des sédiments (mission Cyatox de 1995). 1996 correspond à une diminution progressive des quantités de rejets solides en mer avec un arrêt prévu en décembre 2015. Parallèlement, un Comité scientifique de suivi pluridisciplinaire (CSS) est mis en place pour assurer le suivi toxicologique et écotoxicologique des dépôts de boues rouges en mer. Il faut aussi signaler la création du parc national des Calanques en avril 2012, incluant la zone de rejet. En décembre 2015, une analyse critique des données collectées dans le cadre du CSS est alors demandée, ainsi que des études complémentaires devant être effectuées par les organismes
publics (Ifremer, Anses) et par l’exploitant, dans le cadre d’une demande de rejet en mer de la partie liquide des effluents. Les résultats de ces études se rapportent à trois domaines concernant :

  • la nature du rejet et sa zone de diffusion ;
  • les impacts du rejet sur la biodiversité du milieu et l’écotoxicité des boues sédimentées ;
  • les impacts sanitaires liés à la consommation des produits de la pêche prélevés dans la zone du rejet.

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Volet chimique et hydrologique

La composition chimique des boues rouges prélevées sur le site de Gardanne et aux abord immédiats de l’émissaire paraît constante et se caractérise par un fort enrichissement en Ti mais aussi en Cr, V, Fe et Pb et un fort déficit de manganèse. La totalité des rejets solides représente plus de 20 millions de tonnes de 1967 à 2015, les dépôts recouvrant la totalité du sol à proximité de l’émissaire dans le canyon de Cassidaigne. Au contact de l’eau de mer, se forment des précipités stables d’hydrotalcite entraînant
un piégeage sous forme solide de métaux comme Al, As, V et le Cd. La masse d’hydrotalcites formée est estimée à 27 000 tonnes par an. Les nombreuses études hydrologiques montrent qu’au débouché de la canalisation les résidus descendent dans la fosse une faible quantité
remontant vers le plateau continental provoquant une dispersion particulaire sur au moins 150 km2 principalement en direction de l’Ouest. Une coloration rouge dans les sédiments ou l’eau liée peut être observée sur environ 680 km2.

 

Volet écotoxicologique

Les résultats de trois campagnes d’études sur la biodiversité, menées de 1997 à 2002 ont montré que les résidus de boues rouges n’ont pas d’effet sur les peuplements de macrofaune benthique. De plus, il semble que de nouvelles populations aient proliféré dans la
zone des dépôts de résidus de bauxite de la fosse de Cassidaigne. La toxicité directe des résidus a été évaluée à l’aide de 4 tests normalisés :

  • inhibition de luminescence sur bactéries (Microtox) ;
  • mortalité sur poisson (le loup) ;
  • mutagenèse sur bactéries (Ames) ;
  • développement larvaire (oursins et sur moules).

Globalement, les tests ont été négatifs (sauf le test oursins en 1997 et le Microtox en 1999), montrant ainsi l’absence d’effets observables des boues rouges rejetées en mer.

 

Volet sanitaire

La mise en oeuvre de ce volet a été confié à l’Anses et à l’Ifremer et a été basée sur :

  • l’implantation dans les sites choisis, de moules contenues dans des cages, avec un suivi de l’accumulation des contaminants d’intérêt ;
  • le prélèvement de poissons d’espèces commercialisées avec estimation des doses d’exposition des consommateurs.

L’étude a porté finalement sur plus de 2000 échantillons biologiques, provenant de la zone dite « impactée » autour du site de rejet ou d’autres sites du golfe du Lion.

Résultats sur les moules

Les stations de moules ont été positionnées sur le plateau continental à l’ouest au nord et à l’est du rejet, à différentes profondeurs (de 50 m à 130 m). Les taux de mortalité et les indices de condition ne montrent pas de différences significatives à l’échelle de la zone d’étude. Les concentrations des métaux réglementés (Hg, Pb et Cd) sont généralement inférieures aux seuils sanitaires, avec cependant quelques valeurs supérieures pour le Pb et le Cd à l’ouest de la zone de rejet. Pour les métaux traceurs du rejet (Al, Ti, V, Mn et Ni), on note pour les sites à proximité du rejet et en fonction de la profondeur, des teneurs de 2 à 5 fois supérieures à celles des zones témoins. La zone concernée est cependant de faible étendue et située à l’Ouest du canyon, en lien avec la courantologie de la zone.

Résultats sur les poissons

L’analyse de l’Anses a été basée d’une part sur des données de contamination des poissons en métaux, d’autre part sur des données de consommation relatives soit à la population générale (EAT2) soit aux forts consommateurs de produits de la mer (Calipso) de la région de Toulon. Cependant, compte tenu de la diversité des échantillons, la puissance statistique des comparaisons est faible. Pour les poissons prélevés dans la zone de rejet, la concentration moyenne en Hg est supérieure à celle obtenue pour les zones témoins, les résultats sont inverses
pour le Cu et le Zn. Pour ce qui concerne l’exposition des consommateurs, des dépassements de valeur toxicologique de référence sont constatés pour l’As, le Cr et le Hg dans le cas d’un scénario maximaliste : modèle de consommation des produits de la pêche Calipso–Toulon, repères toxicologiques relatifs aux formes chimiques des éléments les plus toxiques (As inorganique, CrVI, Me Hg). Cependant les conclusions de cette étude sont limitées du fait que les métaux marqueurs des boues rouges ne figurent pas dans les études effectuées par les instances sanitaires, car non réglementés.

 

Caractéristiques du futur effluent

Le débit du futur effluent sera identique à celui de l’effluent actuel (270 m3/h) mais sa charge en matières en suspension sera beaucoup plus faible passant de 120 000 mg/L à 35 mg/L, le flux  maximum journalier de MES passerait de 777 tonnes à 227 kg. L’effluent devenu plus léger remontera vers la surface avec une tendance à se stabiliser au-dessus du point de rejet, étant ainsi
soumis aux courants locaux avec une dilution supérieure à un facteur 10 000.

 

Questions en suspens

Malgré les résultats sur l’impact limité des émissions passées, il reste des interrogations sur les rejets en mer de la phase uniquement liquide de l’usine. La Commission européenne a posé en  janvier 2017 des questions au gouvernement français, concernant en particulier les taux élevés en As, Al et Fe dans les rejets liquides de l’usine, sachant que les paramètres physicochimiques peuvent fortement moduler la biodisponibilité de ces métaux.