André Picot, mon Ami mon Maître

J’ai connu André Picot au début des années 1980. Je venais de passer ma thèse de doctorat d’état en Toxicologie sur les PCBs alors que j’étais biochimiste de formation. C’était l’époque ou Giscard d’Estaing pour se donner une teinte écologique décida l’organisation d’un grand congrès à Paris sur l’environnement à l’UNESCO. Le Ministère de l’Environnement fut chargé d’organiser rapidement un tel évènement en sollicitant toutes les bonnes volontés disponibles. Un de mes amis Toulousains me demanda de l’aider à animer une session sur les « nouveaux pesticides naturels », sujet qui m’était largement inconnu. Recueillant quelques données disponibles sur la roténone (à l’époque il n’y avait pas Wikipédia), j’effectuais une présentation à minima, que j’estimais suffisante  pour le public concerné. A la fin de la présentation, la parole est donnée à la salle et la première main qui se lève était celle d’André Picot. Il se livre alors à un exercice de démolition de cette Substance, considérée à l’époque comme naturelle et donc compatible « Bio » mais d’une redoutable toxicité (ce qui amènera à son interdiction). Devant une intervention aussi argumentée, la « vraie » discussion est reportée à la pause-café. C’est là que j’avouais avoir essayé de « rendre service » en sortant du mon champ de compétences. J’avais rencontré un combattant de la rigueur scientifique, mais un combattant magnanime qui m’avait recommandé d’améliorer mes connaissances en toxicologie, en suivant la seule formation postuniversitaire qui était alors dispensée au CNAM. Le CNAM ne m’était pas inconnu car j’avais une collaboration avec l’équipe de Robert Albrecht sur l’étude des systèmes enzymatiques de métabolisation des xénobiotiques. La clarté du raisonnement d’André et son approche mécanistique des processus toxiques m’avait convaincu de suivre un tel enseignement. Je n'ai pas été déçu vu qu’en dehors d’André il y avait des enseignants comme René Truhaut, Henri Pézerat, Maurice Rabache,  Georges Bories…. Il faut signaler qu’à l’époque le cursus universitaire de Biochimie des universités de sciences ne faisait aucunement allusion aux processus de toxicité, enseignement réservé aux pharmaciens et aux vétérinaires (mais malheureusement absent des cours de médecine). Le bon feeling avec André s’est traduit l’année suivante, par sa demande de rejoindre l’équipe enseignante pour assurer le cours sur les PCBs. J’ai alors conseillé à l’assistante de mon laboratoire de suivre aussi la formation au CNAM. J’ai ensuite naturellement suivi André dans l’ATC CNAM puis dans l’ATC Paris. Nous avions la même passion pour la « transmission » qui de mon côté était une valeur familiale via ma mère institutrice et mon père conseiller d’éducation, concrétisée par une carrière d’enseignant-chercheur.

Ma collaboration scientifique avec André s’est développée quand je suis rentré au CSHPF et que j’ai été nommé Président du groupe contaminants en 1988. Il faisait partie de ce groupe d’experts avec d’autres grands personnages comme Charles Frayssinet pour les mycotoxines ou Michel Boisset pour les métaux traces. Les démêlés d’André avec l’Académie des sciences pour l’expertise des dioxines nous ont rapprochés car il y avait un lobbying très fort pour minimiser les risques liés à cette famille de polluants persistants. Nous avons rédigé (en auto-saisine) un rapport sur les PCBs et Dioxines au CSHPF que j’ai fait remonter au Conseil de l’Europe où j’étais  représentant de la France au sein du groupe sur les denrées alimentaires. Notre proposition de limite sur les dioxines dans le lait ayant été adoptée, la France a du s’aligner sur la recommandation européenne. Ce premier succès dans la lutte contre les lobbies ayant démontré l’efficacité de notre collaboration, André m’a souvent associé à ses combats comme je l’ai associé aux miens, ce qui nous a amené à gagner des causes « difficiles » sur le plan judiciaire comme dans l’affaire Paul François (pesticides), Singer (cuivre) ou Vaux-le-Pénil (dioxines).

Mais notre plus grande complicité se situait au deuxième degré, c’est-à-dire sur le plan de l’humour. C’était une façon de prendre de la distance avec un discours scientifique rugueux et du carcan des exigences réglementaires. La rapidité de réparti sur les traits d’esprit et les sentences à double sens était notre jeu de ping-pong, qui pouvait étonner notre auditoire ou même indisposer certains représentants ministériels. Ceci allait de pair avec le sens de la fête, des bons repas, du bon vin (rouge !) et des fins de soirée en chansons. Les fins août à Ampeils étaient les rendez-vous incontournables qui s’étaient officialisés par l’animation de la fête du village voisin. André avait une humanité débordante et « contaminante », les cercles d’amis personnels se rejoignaient en une grande communauté fraternelle. Finalement notre dernière rencontre date du 29 décembre ou nous avons fait un repas en musique, occasion de fêter son passage comme Président d’Honneur de l’ATC.

Alors que le confinement avait raréfie les organisations de congrès, l’année 2022 les avaient rétablis. J’avais donc accompagné André au congrès « après-mine » en septembre à Chaussy et au colloque Environnement – Santé de Strasbourg en Octobre, ce qui a été la dernière manifestation à laquelle il a participé. Il se trouve que l’épreuve de l’article issu de ce colloque nous a été transmise le jour même de son départ. C'est donc le dernier article scientifique* avec son nom. La photo que les éditeurs ont choisie pour illustrer l'article est celle d'un homme souriant et de plus avec la végétation calédonienne en arrière-plan (on connaît son attachement à cette terre). L'article traite de la démarche scientifique rigoureuse et complexe pour aborder les relations pollution - santé, on ne pouvait pas trouver meilleur sujet comme illustration de ses principes d'action et de transmission.

Malgré le vide qu’il laisse dans nos vies, nous nous devons de continuer en appliquant ces principes. 

*Pollution et causalité : L’approche scientifique ; Narbonne JF, Picot A., BDEI n° 103, janvier 2003, pp 47-51

Jean François Narbonne, le 27 Janvier 2023.

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Hommage à André Picot, le président d’Honneur de l’Association Toxicologie Chimie, qui  vient de nous quitter le 18 janvier 2023. Cet humaniste toujours souriant était notre phare.

André, de sa Bretagne natale, vient à Paris pour étudier, d’abord au Lycée d’Arsonval, puis au CNAM pour terminer par une thèse de doctorat en science physiques à Orsay à l’université de Paris sud (1975). Chimiste au départ, il deviendra, Toxicochimiste.

Après un passage chez Roussell Uclaff au Centre de Recherches, il intégrera au CNRS de Gif sur Yvette  l’lnstitut de Chimie des Substances Naturelles (ICSN) où il deviendra Directeur de Recherches (1986-2004). Il mettra ensuite en place à Gif, l’Unité de Prévention du Risque Chimique (UPS 831), (1989-2001).

Entre temps (1980) au CNAM Paris, nait un enseignement de toxicologie fondamentale sous l’impulsion de brillants experts de notoriété internationale, formation originale interdisciplinaire qui associe la biologie et la chimie.

Cet enseignement va évoluer et prenant en compte le milieu du travail et l’environnement. Naitra alors l’Association Toxicologie CNAM (1989) avec la collaboration de responsables d’hygiène et Sécurité de l’INSERM.

Cette association va se transformer en Association Toxicologie Chimie  ATC Paris (2009) indépendante et autonome qu’il va cogérer avec son ami Maurice Rabache. Ils vont  dispenser alors un enseignement de toxicochimie et d’écotoxicochimie fondamentales industrielles et environnementales.

Globalement ces divers enseignements en 35 ans ont formés plus de 300 auditeurs (médecins du travail, ingénieurs et techniciens d’hygiène et sécurité, ingénieurs spécialistes de l’environnement, mais aussi, des journalistes, des naturopathes, des syndicalistes, des juristes sans oublier quelques passionnés curieux de ces domaines scientifiques si peux médiatisés).

Il faut rappeler que l’ATC a deux missions principales : la formation et l’expertise.

La formation, c’est sensibiliser, informer et former dans les domaines de la toxicologie et de l’écotoxicologie.

L’expertise, c’est éclairer par la connaissance et les compétences des sujets d’actualité tragiques considérés comme des causes perdues.  André avec ses amis, Jean François  Narbonne,  Claude Lesné et les autres experts de notre panel d’enseignants permettront rétablissement de la vérité sur des sujets compliqués et épineux.

Deux exemples de procès gagnés avec une contribution de l’ATC : Paul François, l’agriculteur céréalier intoxiqué par l’insecticide « Lasso » de Monsanto ; Anne Marie Singer, agricultrice ayant un élevage de moutons. Ces derniers et sa mère ont été intoxiqués au cuivre suite à un acte malveillant (pollution de l’eau de source du domaine).

La liste des actions menées est longue et ne sera pas développée ici.

L’arme d’André, comme l’a si bien dit Jean François Narbonne dans l’hommage qu’il t’a rendu en chanson, c’était la chimie !

Il faut rappeler aussi qu’André a été un expert français à la Communauté Européenne (SCOEL), dans le domaine de la surveillance des atmosphères de travail, en participant à l’établissement des valeurs d’exposition. Il a participé à de très nombreuses autres missions d’expertise pour différents ministères et agences en France (Ministères de la recherche, du travail, de l’environnement, de l’agriculture, Académie des Sciences, AFSSET, AFSSA, INSERM…).

André vient de nous quitter et nous laisse un peu orphelins. André, le phare de l’ATC, est parti rejoindre ses très chers amis Maurice Rabache et Bruno van Peteghem. Nous devons continuer le travail commencé, prendre le relais et développer notre Association avec la nouvelle équipe.

André, était très apprécié. En homme simple, tranquille, curieux, assoiffé de science, il a été un  infatigable travailleur, disponible et à l’écoute jusqu’au bout. C’était aussi un bon vivant, aimant les bonnes choses. Il aimait partager son vécu et nous racontait des histoires parfois surprenantes. Il pouvait aussi avoir un humour décapant.

Il aimait bien l’écriture, beaucoup d’articles scientifiques, de monographies et de livres ont été publiés, en particulier grâce au travail de mise en page et de collaboration étroite avec Jean Ducret. Beaucoup de thématiques ont été abordées. Pour illustration, en voici quelques unes seulement : les métaux traces toxiques, la spéciation, la dioxine, les perturbateurs endocriniens, le lévothyrox, le gaz de schiste, la pollution des sols, le syndrome aérotoxique… et dernièrement le kudzu. L’idée de ce thème est née d’une  collaboration avec Junko, l’épouse de Bruno van Peteghem. Pendant ces deux dernières années, l’étude bibliographique du Kudzu, plante japonaise, a permis à André la rédaction d’une monographie de l’ordre de 150 pages. Elle est presque terminée et sera bientôt mise sur le site de l’ATC en accès libre.

André, c’était un scientifique passionné et passionnant.

Les anciens auditeurs que nous sommes, devenus parfois des enseignants ATC, tenons à  remercier André de nous avoir encouragés, motivés, guidés, de nous avoir donné confiance en nous pour trouver le meilleur de nous mêmes.

Nicole et Frédéric, pour le bureau, les enseignants, les adhérents et sympathisants de l’ATC.

27 janvier 2023.

 

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