agent alkylant direct des protéines et de l'ADN

OXYDE D'ÉTHYLÈNE

 

L'Oxyde d'éthylène est un gaz produit par oxydation de l’éthylène, soit de façon naturelle par la flore microbienne, soit de façon industrielle par catalyse en présence d’argent. Ce gaz sert à la synthèse de composés comme l’acrylonitrile ou le polyoxyéthylène, ou comme agent de stérilisation de matériel médical.

 

Toxicité
Il s’agit d’un époxyde très électrophile qui va donc réagir avec les macromolécules cellulaires nucléophiles (protéines et acides nucléiques). Il s’agit d’une substance à toxicité directe sans métabolisation préalable. C’est d’ailleurs la très forte réactivité de l’oxyde d’éthylène sur les protéines et l’ADN qui lui donne son efficacité comme destructeur de bactéries et de virus. Les effets toxicologiques vont donc être liés à son mécanisme d’action.
Adduits aux protéines : Les protéines sont donc modifiées (haptènes) et peuvent induire des effets allergiques, neurotoxiques (céphalées, vomissements…) ainsi que de troubles ostéo-articulaires. Un marqueur d’exposition chez l’Homme est la mesure des adduits à l’hémoglobine ; Les effets sont réversibles après arrêt de l’exposition dans une période dépendant du turn over des protéines modifiées (en général plusieurs semaines).
Adduits à l’ADN : Les risques sanitaires liés à l’altération de l’ADN sont l’apparition de cancers à terme. Le marqueur d’exposition chez l’Homme est la mesure des adduits sur l’ADN des lymphocytes. Cependant les atteintes de l’ADN peuvent être rapidement réparées par les systèmes de réparation dans un temps moyen de 48h. Par contre certaines atteintes peuvent persister et entraîner des mutations fixées. C’est ce type d’altération qui peut constituer la première étape des processus de cancérogenèse. Ce sont en général les cellules a fort taux de division qui sont les plus sensibles aux mutagènes (réparation SOS) et donc certains tissus comme le sang, ou les enfants dans leur phase rapide de croissance (période post natale). Dans les cohortes de travailleurs exposés en milieu hospitalier ce sont d’ailleurs des leucémies et des lymphomes non hodgkiniens qui ont été observés.
Il faut signaler que des systèmes de protection efficace existent dans la cellule via les systèmes de métabolisation classiques des époxydes, essentiellement l’époxyde-hydrolase (EH) et la glutathion-transférase (GST).

 

Cas des expositions à de très faibles doses pendant un temps court
Dans la cellule humaine la probabilité d’adduits aux protéines est très supérieure à celle des adduits à l’ADN, à la fois

pour des raisons de rapport molaire protéines/ADN que pour des raisons de localisation, l’ADN étant situé dans le noyau avec des protections membranaires et des protéines nucléaires. Dans une cellule exposée les adduits sur l’ADN sont de plusieurs ordres de grandeur inférieurs à ceux affectant les protéines.
Dans le cas d’exposition aux tétines de biberons stérilisées avec de l’oxyde d’éthylène utilisées dans certaines maternités, nous sommes dans le cas d’exposition alimentaire à très faibles doses pendant un temps limité à quelques jours (inférieur à la semaine sauf pour les prématurés) et en tenant compte des mécanismes d’action les effets les plus probables attendus sont donc ceux liés aux adduits sur les protéines.

 

Notions de substances sans seuil
Dans le cas de cancérogènes génotoxiques il est invoqué le concept de substances « sans seuil ». Il est nécessaire de clarifier ce concept qu’il convient de considérer sous trois aspects : Biologique, épidémiologique et de gestion.

  • Sur le plan biologique : la notion de sans seuil ne s’applique pas, puisque à une seule mutation non réparée peut correspondre le démarrage d’un processus génotoxique. Il est donc évident que dans chaque mécanisme moléculaire il existe un seuil si faible soit-il. Pour qu’une entité toxique réagisse avec un « récepteur » il faut que les systèmes de protection (métabolisme, piégeage, stockage..) aient été dépassés. Pour activer un récepteur hormonal ou une voie de signalisation cellulaire il faut un certain niveau d’imprégnation. Pour atteindre l’ADN du noyau il faut que la substance ait eu un parcours intracellulaire impliquant par exemple des transporteurs multiples. De plus les disfonctionnement cellulaires ont des boucles de régulation ou de réparation avant la manifestation d’altérations fonctionnelles. Ainsi on peut dire à la fois qu’il existe dans tous les cas un seuil pour les altérations affectant le fonctionnement cellulaire, mais aussi que ce seuil est difficile voire impossible a estimer avec précision comme base de l’évaluation des risques. La notion de génotoxique sans seuil vient essentiellement de la théorie des effets des rayonnements ionisants qui peuvent en effet traverser une cellule et induire des oxydations au niveau de l’ADN. Dans l’absolu un rayon ionisant peut induire une altération de l’ADN qui n’étant pas réparée peut aboutir à une mutation elle-même un foyer tumoral. Il est évident que cette notion historique des années cinquante est aujourd’hui obsolète sur le plan des rayonnements ionisants mais de plus n’a pas de réalité scientifique pour les substances chimiques. Comme l’ont indiqué clairement les recommandations récentes de l’Académie des Sciences américaines, le modèle statistique « one mole one hit » utilisé dans les années cinquante n’a plus de légitimité scientifique aujourd’hui.
  • Sur le plan épidémiologique : il faut rappeler l’historique des études pour les effets des faibles doses de génotoxiques. Il s’agit des études relatives aux conséquences des bombardements atomiques sur le Japon. Il est extrêmement difficile de situer à partir de quel niveau de dose et de temps d’exposition on note une augmentation significative de l’incidence des cancers. On parle de risques résiduels et il faut attendre que l’ensemble des individus d’une cohorte exposée soient décédés pour estimer les risques de surmortalité pouvant apparaître tout au long de la vie.
  • Sur le plan de la gestion des risques : le concept de substances sans seuil s’oppose à celui de substances avec seuil pour lesquelles on peut légitimement fixer une « dose sans effet toxique observable ». Dans ce dernier cas la base de la gestion des risques est une dose acceptable servant de cadre à l’établissement des valeurs limites (c’est ce que l’on appelle les bases sanitaires pour l’établissement des normes). Dans le cas de substances sans seuil les bases des mesures de gestion sont :

- L’application du principe ALARA ou ALARP (aussi faible que raisonnablement ou techniquement faisable pouvant faire appel à une démarche BAT).

- L’évaluation quantitative du risque permettant d’établir des doses virtuellement sûres. 

- Par une approche basée sur les marges d’exposition (MOE), enfin l’application du principe de précaution qui est d’assurer une absence d’exposition (c’est le cas par exemple de l’interdiction d’usage de l’oxyde d’éthylène pour la stérilisation des biberons).

Ainsi il est tout à fait illégitime d’invoquer la notion de substance sans seuil dans la prévision des impacts santé liés aux substances génotoxiques et cancérogènes alors que cette notion est tout à fait légitime dans la mise en place des options de gestion. Les progrès importants de la toxicologie moléculaire permettent aujourd’hui de disposer d’indicateurs ou de biomarqueurs pertinents assurant le passage d’approches théoriques d’évaluation des risques et de leurs impacts à celles qui s’appuient sur des approches pratiques.

 

Talence le 22 Novembre 2011
Professeur Jean François Narbonne

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